texte d’exposition par Rose Vidal (pdf)


Cette nouvelle série de dessins de Cham Lavant prend pour point de départ une esquisse préparatoire que l’artiste a réalisé pour ses illustrations des textes du poète russe Daniil Harms récemment publiées. Grand précurseur de l’absurde en littérature, Daniil Harms témoigne dans le texte en question, surnommé «le poing dans la gueule», de toute sa verve satirique et de sa prose désordonnée qui lui a valu d’être rangé aux côtés des grands auteurs désespérés russes.
De cette esquisse préparatoire est donc née une série de 18 dessins qui continuent et reprennent la scène et se présentent comme autant de variations autour du même thème.
Les dessins de Cham Lavant, réalisés au fusain noir sur papier, explorent le sujet en jouant sur différentes tonalités picturales adoptant tantôt un style très expressif, tantôt très simple, parfois proche de l’illustration ou de l’animation, parfois proches de l’estampe.
L’artiste y reprend dans chaque dessin l’atmosphère de surprise et de violence absurde moitié comique moitié dramatique de la saynète originelle. Elle s’attache particulièrement à restituer le mouvement des corps et le rapport des corps entre eux, dans des poses parfois grotesques parfois graves. Les personnages dessinées semblent ainsi danser et leurs figures se mêlent dans un mélange de confusion, qui vire à l’abstraction et à l’anamorphose, et d’étonnante précision des détails qui confère toute sa force au trait de Cham Lavant.


Quand je vois quelqu’un, j’ai envie de lui taper sur la gueule. C’est si bon de taper sur la gueule de quelqu’un !
Je suis assis dans ma chambre et je ne fais rien. Quelqu’un vient me rendre visite ; il frappe à ma porte.
Je dis : « Entrez ! » Il entre et dit : « Bonjour ! Quelle chance de vous trouver à la maison !» Et moi, pan sur la gueule, et encore un coup de botte dans le périnée. Une ouleur épouvantable fait tomber mon hôte à la renverse. Et moi, je lui écrase les yeux à coup de talon ! Vous n’avez rien à traîner par-là, pour dire, quand on ne vous a pas invité ! Ou encore comme ça : je propose à mon hôte une tasse de thé.
L’hôte accepte, s’assied à la table et boit son thé en racontant quelque chose. Je fais mine de l’écouter avec un grand intérêt, acquiesce de la tête, m’exclame, fais des yeux étonnés et rigole. L’hôte flatté par mon intention, s’emballe de plus en plus. Je lui verse tranquillement une tasse pleine et lui asperge la gueule d’eau bouillante. L’hôte saute sur ses pieds et prend son visage dans ses mains.
Et moi, je lui dis : « Il n’y a plus de vertu dans mon âme. Cassez-vous ! »
Et je pousse mon hôte dehors.

Daniil Harms, 1939-1940
Traduction, Jean-Philippe Jaccard




ouvert du jeudi au dimanche de 14h30 à 19 h et sur rdv
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